Chambé-Carnet : Qu’entends-t-on par “IA” ? Une simple machine à café programmable possède-t-elle une IA ?
Jérôme : L’expression « Intelligence Artificielle » est censé couvrir l’ensemble des technologies et techniques permettant à une machine de simuler l’intelligence. En théorie, cela devrait donc principalement traiter de processus comme l’apprentissage, le raisonnement et la mémoire. Rien à voir donc avec une machine à café programmable ou un logiciel de traitement de texte qui suivent des processus bien définis à l’avance, qu’ils soient simples ou complexes.
CC : Le terme IA, dont on entend beaucoup parler en ce moment (chatbot, …), n’est-il pas utilisé abusivement ?
Jérôme : Si on reprend la définition ci-dessus, il est clair que le terme est utilisé de façon très abusive. La plupart du temps, dès qu’un logiciel met en œuvre des techniques de type « machine learning », (c’est-à-dire un logiciel dont l’algorithme se construit par expérience et non par programmation), « on » entend parler d’IA.
Or, la capacité d’apprentissage n’est qu’une des particularités de l’intelligence. Un chatbot peut, par exemple, utiliser des techniques de compréhension du langage naturel pour interagir avec un utilisateur.
Cela ne le rend pas intelligent pour autant.
CC : L’IA touche tout les domaines, dont celui de la Défense, et plusieurs personnalités (Hawking, Musk, Gates) ont émis des réserves à son sujet, sur la “mauvaise” utilisation qui pourrait en être fait: qu’en est-il ?
Jérôme : Les technologies de machine learning et de compréhension du langage, liées à des puissances de calculs toujours plus grandes, vont permettre de construire des logiciels dont les capacités de traitement de données vont largement dépasser les capacités humaines. C’est une chance formidable dans un tas de domaine. Par exemple, pour définir le meilleur traitement possible pour un malade, un système pourra lire et comprendre l’ensemble des études cliniques existant dans le monde entier et faire des recommandations appropriées. Un médecin ne pourra jamais faire cela mais s’appuiera sur ces outils dans son métier. C’est pour cela que je préfère parler d’Intelligence Augmentée. Comme toute technique, l’IA peut-être utilisée à des fins moins positives ou morales.
L’éthique de l’IA est un vrai sujet qui est aujourd’hui à l’agenda de tous les acteurs privés et publiques.
CC : IA et respect de la vie privée, est-ce que ces concepts sont forcément antinomiques ?
Jérôme : C’est d’avantage l’utilisation des données personnelles qui est un sujet de vie privée : quand nous utilisons des services en ligne gratuit, nous donnons accès à nos données aux fournisseurs de ces services voire nous leur donnons même la propriété (lisez toujours attentivement les conditions d’utilisation 🙂 ). Ensuite ces données sont sources de profits souvent très importants. Je crois que nous manquons d’éducation et d’information sur ces enjeux.
CC : C’est quoi le programme IBM Watson ? Un lien avec Sherlock ?
Jérôme : En 2011, IBM a créé « Watson », du nom du fondateur d’IBM, un programme ambitieux qui joua et gagna à Jeopardy (l’équivalent américains de Questions pour un champion) face aux 2 meilleurs joueurs du monde. Il s’agissait au départ d’un challenge technologique dont le but était de démontrer qu’un logiciel pouvait comprendre une question complexe du type :
« Recherché pour le vol d’une miche de pain dans Les Misérables » et surtout fournir une réponse (ici Jean Valjean) en 2 ou 3 secondes.
Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru. Watson est à présent un ensemble de « services » : compréhension du langage, d’images, de la voix, assistant virtuel, machine learning, …
Il est accessible depuis le Cloud et donc accessible à chacun !
CC : Au cinéma (Terminator, A.I. Intelligence artificielle ou encore i Robot pour ne citer qu’eux), dans les jeux vidéo (dont l’assistante personnelle « Cortana » de Microsoft est inspiré), on voit des IA fictives très évoluées. Peut-on s’attendre à un tel niveau dans les décennies à venir ou cela restera-t-il de la fiction ?
Jérôme : Que l’on construise des IA spécialisées et dépassant les humains sur un domaine spécifiques est très prévisible. La création de systèmes plus généralistes voire ce qu’on appelle une singularité, est plus délicat et complexe. Les plus optimistes n’imaginent pas cela avant plusieurs décennies. Personnellement, je me méfie des prévisions à plus de 10 ans. Regardez l’Iphone né il y a 10 ans : qui aurais pu penser que le smartphone transforme autant la société en 10 ans ?
CC : L’assistant personnel qui s’occupe des tâches du quotidien à notre place sera-t-il une réalité bientôt ?
Jérôme : Je crois davantage en une multitude d’assistants spécialisés, au moins dans un premier temps. Mais c’est déjà le cas avec la domotique ou les robots aspirateurs !
CC : Le transhumanisme passera-t-il par l’IA ?
Jérôme : L’être humain, en tous cas Homo Sapiens, n’a cessé de s’augmenter au fil des millénaires : outils, lunettes, voitures, ordinateurs, médicaments. L’augmentation de nos capacités cognitives peut être considérée comme une nouvelle étape du transhumanisme. Néanmoins, ce sont plus les nanotechnologies et les biotechnologies qui auront un impact majeur.
CC : Merci Jérôme d’avoir répondu à nos questions.
Nous pensons comprendre un peu mieux ce qu’est l’Intelligence Artificielle maintenant, et avons hâte de te voir intervenir sur le sujet le 17 mai prochain.